Luc MICHEL pour EODE Think Tank /
Avec Le Monde – Libération – Palgrave Macmillan / 2013 06 01 /
Un nouveau livre – EUROPE’S NEXT AVOIDABLE WAR: NAGORNO-KARABAKH
(la prochaine guerre évitable de l’Europe: le Haut-Karabakh, chez Palgrave Macmillan) –
nous rappelle le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sur ce territoire caucasien contesté, l’une des «guerres gelées» des anciennes frontières de l’Union soviétique.
J’étais en Arménie à la fin de février 2013 pour les élections présidentielles. La question du Haut-Karabakh était encore l’un des principaux thèmes de la campagne électorale. Et ce n’est pas un hasard si le président arménien Sarkissian, qui a encore gagné un nouveau mandat, était longtemps avant le chef des milices du Karabakh dans les années 1990…
I : LE CONTEXTE GEOPOLITIQUE
Un des points chauds de la confrontation OTAN-Russie, ce sont les Républiques auto-proclamées de Pridnestrovie, Abkhazie et Ossétie du Sud, que l’on appelle aussi la « CEI-2 ». En outre, dans une confrontation similaire, c’est le Haut-Karabkh, soutenu par l’Arménie – l’allié le plus proche de la Russie au Caucase, contre l’Azerbaïdjan, membre du GUAM pro-OTAN. C’est là que la confrontation entre l’OTAN et la Russie s’exprime directement, aux frontières caucasiennes et aux marches européennes de la Russie.
« LES REPUBLIQUES VENUES DU FROID »
L’Abkhazie (capitale Soukhoumi), ex-république autonome de la Géorgie soviétique depuis 1931, a combattu les forces géorgiennes de 1992 à 1994, au lendemain de la dissolution de l’URSS en décembre 1991. Soukhoumi ne reconnaît pas la souveraineté de Tbilissi sur son territoire et applique une politique visant à accéder à une indépendance reconnue par la communauté internationale.
Ex-région autonome de la Géorgie d’après la division administrative de l’URSS, l’Ossétie du Sud (capitale Tskhinvali) a proclamé son indépendance le 20 septembre 1990. Tbilissi a alors riposté et les opérations militaires ont fait des milliers de morts de part et d’autre de 1990 à 1992. Lors du premier référendum de janvier 1992, au lendemain de la disparition de l’URSS, l’Ossétie du Sud s’est massivement exprimée en faveur de son indépendance envers la Géorgie. Les Sud-Ossètes mettent le cap sur le rapprochement avec l’Ossétie du Nord, république du Caucase du Nord russe, notant que les Ossètes, du Nord comme du Sud, ont bénévolement intégré la Russie en 1774, une bonne trentaine d’années avant la Géorgie. Près de 99% des Sud-Ossètes ont dit « oui » au référendum organisé ce 12 novembre 2006 par les autorités séparatistes et proposant de faire de la région un Etat indépendant. Tskhinvali ne cache pas son objectif stratégique de réunification avec l’Ossétie du Nord, une république russe du Caucase du Nord, et refuse catégoriquement de reconnaître la souveraineté géorgienne sur son territoire.
La Pridnestrovie (la PMR, capitale Tiraspol), zone la plus industrialisée de l’ancienne République soviétique de Moldavie et peuplée aux deux tiers par des Slaves, a proclamé son indépendance envers Kichinev en 1992, après la dislocation de l’URSS et à l’issue de plusieurs mois de combats contre les forces moldaves pro-roumaines. Depuis, Tiraspol refuse de reconnaître la souveraineté moldave sur son territoire et applique une politique indépendante, renforcée après le référendum sur l’indépendance de septembre 2006, très largement remporté par les partisans du rapprochement avec la Russie. Le 17 septembre 2006, un référendum a eu lieu en effet en République Moldave de Pridnestrovie (PMR), et, dans le cadre de cette consultation nationale, la majorité écrasante de la population de cette république autoproclamée s’est prononcée pour la poursuite de la politique d’indépendance de la Pridnestrovie et de son union avec la Russie.
Enfin le Nagorny-Karabakh (capitale Stepanakert), qui se veut « le deuxième Etat arménien », enclave à majorité arménienne en Azerbaïdjan, a fait sécession de Bakou au terme d’un conflit armé qui a fait, entre 1988 et 1994, des milliers de morts. Le Haut-Karabakh bénéficiait, au sein de la république soviétique d’Azerbaïdjan, du statut de région autonome. En 1988, à la faveur de la perestroïka gorbatchévienne, la population locale a exigé la réunification de l’enclave à la république soviétique d’Arménie. Malgré de multiples tentatives de Moscou de faire revenir le calme dans le pays, une véritable guerre a éclaté entre la région et l’Azerbaïdjan après la chute de l’URSS en 1991. Le 2 septembre 1991, les autorités séparatistes ont proclamé l’indépendance de la République du Haut-Karabakh englobant la région autonome du Haut-Karabakh et le district de Chaoumian. Un cessez-le-feu est intervenu en 1994 mais la situation reste tendue, malgré des efforts de médiation du groupe de Minsk de l’OSCE. Depuis, des négociations sont en cours à différents échelons entre Bakou et Erevan.
QUATRE « CONFLITS GELES »
Quatre « conflits gelés » perdurent autour de ces quatre républiques, que l’on tente, avec l’appui de l’OTAN et de Washington, d’annihiler par la force. En Abkhazie et en Ossétie du Sud agressées par la Géorgie, les combats n’ont cessé qu’après l’intervention d’une force internationale de maintien de la paix. Après l’agression de l’Ossétie du Sud par la Géorgie en août 2008 et la courte guerre entre la Russie et la Géorgie, Moscou a reconnu les deux républiques caucasiennes.
La situation reste tendue dans le Haut-Karabakh, malgré le cessez-le-feu et les efforts de médiation de l’OSCE. La Pridnestrovie réclame depuis 16 ans son indépendance par rapport à la Moldavie, au travers de plusieurs referendum, et abrite un contingent de paix russe malgré l’opposition moldave.
A noter que le 30 septembre 2006, les présidents des parlements de trois de ces républiques auto-proclamées – mais néanmoins en Droit international reconnues comme « sujets de droit international » en tant que parties à des conflits – (Abkhazie, Ossétie du Sud, Pridnestrovie) ont signé un accord instituant l’Assemblée parlementaire de la Communauté « Pour la démocratie et les droits des peuples ». Cette Communauté, qualifiée depuis de « CEI-2 », a été instituée en juin 2006 par les leaders des trois républiques et le Traité d’amitié prévoit une assistance mutuelle au niveau politique et économique, mais aussi, en cas d’agression, une assistance militaire.
II : « LA PROCHAINE GUERRE EUROPEENNE EVITABLE : LE NAGORNO-KARABAKH » ?
C’est la thèse du livre EUROPE’S NEXT AVOIDABLE WAR: NAGORNO-KARABAKH de Michael Kambeck (Editeur) et Sargis Ghazaryan (Editeur) (*) pour Palgrave MacMillan.
« Le Nagorno-Karabakh est le plus périlleux des conflits dits gelés en Europe de l’Est. Dans une région presque libre d’observateurs, les conséquences d’une nouvelle guerre dans le Haut-Karabakh sont largement sous-estimés », explique l’éditeur.
Les éditeurs, en capitalisant sur leur expérience au sein de l’ONG Les Amis Européens de l’Arménie, rassemblent les voix à partir d’un large éventail de perspectives interdisciplinaires au sein des sciences sociales et des praticiens travaillant dans le domaine. Ils mettent en lumière la situation actuelle dans le Haut-Karabakh, comment elle a évolué, et les scénarios probables, compte tenu de l’évolution du paysage y compris les nouveaux instruments de la politique étrangère de l’UE. Le livre comprend des propositions concrètes en vue de faire de la guerre, un résultat moins probable.
« Le conflit du Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan définit presque l’insoluble dans les soi-disant conflits ethniques insolubles. Depuis l’éclatement de l’Union soviétique, il a pourri sans beaucoup de progrès vers un règlement. Ce livre est le premier à aborder le conflit à travers ses différentes dimensions et de suggérer des approches à son amélioration. Ce qui est le plus rafraîchissant sur l’ensemble de la collection est l’attitude que, s’il doit être résolu le conflit doit être considéré comme inéluctablement politique et que les solutions militaires seraient tout sauf ça « , écrit John Agnew (University of California, Los Angeles).
Il faut noter, comme l’écrit un des auteurs, que sa «participation à ce projet est venu au milieu de fortes pressions de l’aile pro-gouvernementale de la diaspora azerbaïdjanaise aux Etats-Unis de se retirer de la publication ».
VOICI QUELQUES EXTRAITS DU LIVRE, EXPOSANT LA THESE DES AUTEURS:
« Le livre expose la situation actuelle dans le conflit du Haut-Karabakh et ses implications, et a un fort accent interdisciplinaire. Par accent interdisciplinaire, nous entendons à la fois l’éventail des disciplines au sein des sciences sociales utilisées pour aborder le thème général du livre et de la combinaison des contributeurs qui sont des praticiens et des universitaires ayant une forte connaissance de ce domaine, apportant un large éventail de compétences pour le volume « .
« D’autre part, nous devons reconnaître que, malgré les efforts déployés, il n’a pas été possible de convaincre un plus grand nombre d’auteurs azerbaïdjanais à contribuer au volume. La principale raison du rejet de contribuer était sans doute la peur de la répression par l’Etat azerbaïdjanais, à l’intérieur et même à l’extérieur de l’Azerbaïdjan.
Les éditeurs ont abordé la question de l’équilibre de cinq façons:
(1) en invitant des auteurs azéris qui sont connus pour fournir un point de vue indépendant azerbaïdjanais des prépositions de Bakou (Gourbanov offre un tel point de vue);
(2) en veillant à ce que plusieurs auteurs sont invités, qui sont connus pour défendre plus les points de vue pro-azéris, bien que n’étant pas d’origine azérie (sans différenciation forte, un peu moins d’un tiers des contributeurs tombent dans ce groupe);
(3) en limitant le nombre de contributeurs qui sont connus pour défendre plus des points de vue pro-arméniens (à peu près la même taille que le groupe mentionné ci-dessus);
(4) en invitant un grand nombre de contributeurs qui sont explicitement neutres dans leur contexte et points de vue (plus d’un tiers) […]. »
« Geysar Gourbanov (blogueur militant Azerbaïdjanais des droits civiques et ancien directeur du Centre d’information de l’OTAN à Bakou, qui vit actuellement à Seattle) révèle dans un mode unique la genèse et l’évolution conséquente du conflit: à travers le prisme du mythe grec de la Pomme d’or de discorde, qui a conduit à la guerre de Troie. En approfondissant son analyse, fondée sur des approches véritablement novatrices au conflit, l’auteur applique les moyens de la psychologie collective pour faire la lumière sur la dimension sociétale du conflit. En outre, il applique cette boîte à outils pour les obstacles apparemment les plus insurmontables à la résolution du conflit. Il fait valoir que la solution au conflit réside au-delà de la realpolitik des acteurs étatiques. En fait, il soutient que la paix ne peut être réalisée que si une plus grande partie des sociétés touchées participent, en partie, grâce aux médias sociaux, et si la démocratie, la tolérance et l’intégration sont appliquées au niveau régional « .
III: DEBATTRE LES THESES DU LIVRE
Ce livre intéressant sur ce conflit et sur la géopolitique du Caucase devrait susciter un large débat. Notre critique, précisément, est que ce débat est absent du livre lui même. Ce livre présente en effet les thèses sur ce conflit qui sont celles de la diplomatie de l’Union Européenne. Il y a ici en filigrane les illusions de la politique étrangère de l’UE, puissance soft sans leadership et sans réel pouvoir, qui apparaissent.
Les thèses du grand acteur de ce conflit, la Russie, sont quasi absentes. Sans parler des positions eurasistes sur la Grande-Europe. C’est pourtant de Moscou bien plus que de Bruxelles que peut venir la solution définitive, dans cet « étranger proche » où l’UE a la prétention de défier la Russie.
Un autre grand acteur, l’OTAN, est trop peu mentionné. Voir les rares 12 mentions de l’Alliance Atlantique dans l’index. Et l’absence du GUAM, alliance anti-russe pilotée par l’OTAN, dans ce même index. C’est pourtant l’expansion de l’OTAN à l’Est qui est, selon notre analyse, l’une des causes de la persistance du conflit depuis deux décennies. Washington, qui domine l’agenda géopolitique de la région, et y arme le bellicisme de Tbilissi ou de Bakou, est aussi quasi absente.
.Depuis 40 ans nous affirmons que l’OTAN c’est la guerre et le militarisme. Et les conflits de la « CEI-2 » le démontrent à nouveau.
Ma thèse est que c’est l’OTAN qui pousse à la pérennisation de ces conflits, à l’hostilité entre les peuples voisins. Parce que l’OTAN a intérêt à créer des abcès de fixation, à entretenir la logique de guerre pour laquelle elle a été créée. Parce que l’OTAN soutient directement les thèses extrémistes anti-russes des radicaux à Kichinev (Moldavie) et Tbilissi (comme elle le fait aussi dans les pays baltes en soutenant étroitement les extrémistes baltes dans leur haineuse xénophobie anti-russe), contre les partisans de la paix.
Moscou a proposé divers plans de paix, sur base de la fédéralisation des Etats concernés, comme le plan Kozac pour la Moldavie, tous torpillés par les extrémistes soutenus par l’OTAN.
Luc MICHEL
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# APPENDICE 1 / LE LIVRE
Europe’s Next Avoidable War: Nagorno-Karabakh
Dr Michael Kambeck (Editeur), Dr Sargis Ghazaryan (Editeur)
Incluant des contributions de Elmar Brok, Bernard Coulie, Andrew Cooper, Baronne Caroline Cox, Frank Engel, Geysar Gurbanov, Richard Giragosian, Uwe Halbach, Paryur Hovhannisyan, Otto Luchterhandt, Sergey Markedonov, Arpine Martirosyan, Katherine Morris, Tevan Poghosyan, Dirk Rochtus, Dennis Sammut, Peter Semneby et Charles Tannock.
Editeur: Palgrave Macmillan (5 Mar 2013)
Hardcover: 296 pages
Langue: anglais
ISBN-10: 0230300669
Le DR MICHAEL KAMBECK est le co-fondateur de European Friends of Armenia (EuFoA) et est aussi son Secrétaire-général. Il a travaillé comme Directeur pour les Relations gouvernementales (Burson-Marsteller) et Chef du Personnel pour le député européen Elmar Brok (Parlement européen). Il a un doctorat en Science politique (Université de Bonn) et un Master of Arts en Etudes européennes (Université de Leeds).
Le DR SARGIS GHAZARIAN est membre de Recherche de haut niveau de European Friends of Armenia (EuFoA). Il a été Professeur adjoint d’Analyse de conflits et de Méthodologie de Résolution de conflits au Caucase à l’Ecole de Relations internationales et de Diplomatie (Université de Trieste) et membre de recherche post-Doc au Département de Sciences politiques (Université de Trieste). Il a un doctorat en Géographie politique et Géopolitique et un Master of Arts en Relations internationales et Diplomatie (Université de Trieste)
# APPENDICE 2 / SOMMAIRE DU LIVRE
Introduction: Setting the Geopolitical Stage; S.Ghazaryan
PART I: APPROACHING THE CONFLICT: THE INTERNAL RATIONALE
The Quintessential Conflict: A Cultural and Historic Analysis of Nagorno-Karabakh; B.Coulie
A Case Sui Generis: Nagorno-Karabakh in Comparison with Other Ethnic Conflicts in Eastern Europe; U.Halbach
What the People Think: Town Hall Meetings Reveal the EU’s Potential and Limits in the Nagorno-Karabakh Conflict; T.Poghosyan & A.Martirosyan
What the People Think: Key Findings and Observations of a Town Hall Meeting Project in Azerbaijan, Armenia and Nagorno-Karabakh; T.Poghosyan & A.Martirosyan
Nagorno-Karabakh: Learning from the Flemish Experience within Belgium?; D.Rochtus
The Nagorno-Karabakh Conflict in Light of Polls in Armenia and Nagorno-Karabakh; A.Cooper and K. Morris
PART II: THE INTERNATIONAL COMMUNITY AS FOREIGN POLICY ACTORS IN N-K: THE EXTERNAL RATIONALE
The EU’s New Foreign Policy and Its Impact on the Nagorno-Karabakh Conflict; E.Brok
Soft and Hard Security in the South Caucasus and Nagorno Karabakh: A Euro Atlantic Perspective; R.Giragosian
The Cold War Legacy in Nagorno-Karabakh: Visions from Russia, The USA and Regional Actors; S.Markedonov
An Eye Witness’ View: Human Suffering in Nagorno-Karabakh and the Possible Role of the UK in Preventing New Violence; C.Cox
Evolution of the EU Position Vis-A-Vis the Nagorno-Karabakh Conflict; P.Hovhannisyan
PART III: EUROPE’S NEXT AVOIDABLE WAR: THE PEACE RATIONALE
Conflict and Security in Nagorno-Karabakh: What Contribution from the EU; P.Semneby
Nagorno-Karabakh Conflict: the Golden Apple of Discord or a Toy that Two Have Failed to Share; G.Gurbanov
The EU’S Commitment in Nagorno Karabakh and the Required Steps Ahead; C.Tannock Building a ‘Consensus for Peace’ in Armenia and Azerbaijan; D.Sammut
The Karabakh Dilemma: Right to Self-Determination, Imperative of Territorial Integrity, or a Caucasian New Deal?; F.Engel
Learning from Georgia: A Non-Use-of-Force Treaty for Nagorno-Karabakh; O.Luchterhandt
Conclusion: Realistic Scenarios and How to Avoid a War in Nagorno-Karabakh; M.Kambeck
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Photo : Nagorno-Karabakh. Parade militaire à Stepanakert.